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Sauter en canyoning : Analyse des dangers et technique pour réduire les risques

Sauter en canyoning : Analyse des dangers et technique pour réduire les risques

     Le canyoning, c'est l'osmose entre notre esprit aventurier, les connaissances techniques, et le dépassement de soi dans un environnement sauvage et complexe.

     Suivant l'engagement et la difficulté des parcours, les compétences nécessaires sont plus ou moins variées, et peuvent nécessiter un apprentissage relativement long: Toute les connaissances relatives au matériel, de son utilisation en fonction de la situation, des manipulations de corde, de lecture de la météorologie, de la rivière, du flux aquatique et ses dangers, des techniques de franchissements, sont autant de connaissances et compétences que l'on se doit d'intégrer afin de progresser en sécurité dans les canyons.

Mais il est une compétence bien particulière, emblématique du canyoning, et très prisée chez les jeunes: Le saut.

     Plus généralement, des compétitions de plongeon de haut vol sont apparues en 2009, et l'inscription de cette disciplines aux championnats du monde date de 2013. La médiatisation de ce sport, l'accès facilité aux sports de pleine nature, et l'avènement de l'exploit sportif au travers des réseaux sociaux, amène de plus en plus de monde à tenter de se faire plaisir en sautant de plus en plus haut en rivière.

     Nous avons tous tendance à percevoir le saut dans l'eau comme une action peu complexe, sans véritable difficulté à dépasser autre que le mental lié à la hauteur. Depuis tant d'années en tant que moniteurs de canyon, nous avons pu observer que la majorité des clients que nous reçevons - n'ayant pas conscience de l'aspect dangereux du saut dans l'eau - sont persuadés de 3 choses :

  • L'eau est molle, donc peu dangereuse ;
  • La combinaison néoprène protège en cas de plat ;
  • Seul le plat ventre est dangereux.

     Même dans les anciennes formations pour accéder au diplôme du Brevet d’État d'escalade – qui donnait les prérogatives d'encadrement en canyoning – l'art du saut dans l'eau n'était que peu, voire pas du tout, abordé.

     Alors qu'au niveau des statistiques d'accidentologie en canyoning, les sauts sont les plus largement représentés : 64% des accidents en canyoning ont pour origine un saut. (5)

Aux États Unis, le plongeon récréatif est la quatrième cause de blessures sur la moelle épinière, causant dans 90% des cas une trétraplégie (3).

     De plus, la médiatisation des «exploits» au travers des réseaux sociaux et autres médias en vogue, nous montre pléthore de sportifs réalisant à la perfection des sauts majestueux, dans des environnements naturels impressionnants de beauté.

     Par contre quand on regarde les «fails» … une réalité tout autre nous saute au yeux: La réalité crue des êtres humains s'essayant aux sauts sans préparation. Personnellement, je n'arrive pas à tenir l'intégralité du visionnage de ces compilations de fails en sauts, quand je vois la violence des accidents qui sont maintenant monnaie courante dans ces vidéos.

Sauter en canyon n'est donc pas un acte anodin de franchissement d'obstacle.

     Alors que peut-on faire pour diminuer au maximum les risques? Nous allons déjà tenter de comprendre en quoi sauter dans l'eau peut être dangereux, avant de proposer une méthodologie simple, afin de réduire au maximum les risques de blessures en sautant.


Pourquoi le saut en canyon est-il dangereux ?

 

1) Risque majeur : Le choc contre le fond ou un objet immergé

     La première cause d'accidents en canyoning, et de manière plus générale lors des sauts dans l'eau, c'est le choc avec le fond. C'est l'accident le plus sournois, le plus inattendu, et le plus destructeur, car on ne s'attend pas au choc, l'obstacle n'ayant pas été perçu avant de prendre la décision de sauter.

     Nombre de fois durant nos encadrements nous devons aller voir et prévenir des groupes de jeunes non encadrés qui sautent dans la rivière sans l'avoir sondé au préalable. Ils nous voient sauter au loin, et se disent donc que la rivière est assez profonde. Contrairement à eux, nous avons sondés au préalable la réception des sauts, et nous savons les endroits où le lit de la rivière est assez profond … et où il ne l'est pas.

     J'ai personnellement déjà assisté à l'accident d'un père amenant son enfant en canyon sans encadrement. Il a sauté devant son fils sur un bloc immergé dans le canyon du Rec Grand. N'ayant pas eu le temps de le prévenir avant qu'il ne saute, je n'ai pu l'empêcher de se briser la cheville sur ce petit saut de 1m. Il termina son après-midi dans l'hélicoptère des secours.

     Une autre anecdote dans le canyon du diable: j'arrive avec mon groupe à côté de 2 jeunes adultes en haut d'un rocher prometteur pour un joli saut. Je connais cet endroit, le saut a l'air très joli … mais un tronc d'arbre sous l'eau à 2m de profondeur y est coincé depuis les dernières crues. J’avertis le jeune sur le point de sauter, il refuse de me croire malgré mon insistance, et saute. Nous le voyons tous ressortir de l'eau, et marcher en boitant vers ses affaires, couvert de honte, et certainement sanctionné -  avec de la chance - d'une petite foulure pour son imprudence.

     Typiquement lors des sauts en rivière, le lit du cours d'eau n'est peu ou pas visible, en raison de la turbidité de l'eau (son aspect trouble), et c'est là que le danger est maximal: Sauter sans connaître la profondeur de réception, c'est jouer à la roulette russe. Regardez ce magnifique saut dans le canyon du diable, pouvez-vous juger de la profondeur de la rivière ?

     Forcément, la dangerosité du choc dépendra de la hauteur du saut, de la profondeur de l'obstacle, et de la surface du corps atteinte: Un plongeon est bien plus à risque qu'un saut pieds en premiers, car la tête est la première surface de contact avec l'obstacle, et le corps pénétrera plus profondément dans l'eau.

A RETENIR :

  • Ne jamais sauter sans connaître la profondeur de réception: Il faut sonder.
  • Plonger est bien plus dangereux qu'un saut les pieds en avant.

 

2) La technique de saut : L'impact du corps à l'arrivée dans l'eau.

     C'est là que tout se complexifie. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas le fait de «taper» la surface de l'eau qui est dangereux. Une étude de 1967 (1) a démontré que c'est le ralentissement du corps humain lors de sa pénétration dans l'eau après le premier contact avec la surface qui est problématique. 2 facteurs sont déterminants: La forme du corps à l'entrée dans l'eau et la durée du ralentissement du corps.

     En effet, le corps humain acquiert une certaine vitesse durant la chute en l'air. Cette vitesse se réduit à zéro en une fraction de seconde durant la pénétration dans l'eau, du fait des frottements entre le corps et l'eau. Cette réduction brutale de vitesse, fait donc subir au corps une force de gravité – certes très brève – mais très puissante, pouvant générer des déformations et déplacements dans le corps humain: Une équipe de chercheurs ont réalisé en 2014 (2) une étude sur la force d'impact lors d'un saut dans l'eau. Ils ont trouvé une force d'impact équivalente à 17 fois le poids d'un homme de 80kg !

     Pour avoir un ordre de grandeur, un corps humain de 80kg atteint la vitesse de: 71 km/h à 20 mètres pour 2 secondes de chute.

C'est cette force imprimée sur le corps lors de la phase de décélération dans l'eau qui peut créer des fractures, déplacement des cervicales, tassements ...

Afin d'augmenter la durée de la décélération (et donc de réduire la force du ralentissement sur le corps humain), la forme du corps doit être verticale lors de la pénétration dans l'eau. Un plat est donc la pire configuration possible lors de l'arrivée dans l'eau, il faut arriver droit dans l'eau.

     Une autre étude de 2012 (4) complète ces données en montrant que pour un athlète sautant de 10 mètre, et présentant une inclinaison du corps de 10° par rapport à la verticale, la force nécessaire à la stabilisation du corps sur les articulations et 2 fois plus importantes. Les athlètes ayant la tête penchées à l'entrée dans l'eau témoignent avoir l'impression de recevoir un coup de poing en pleine tête.

Le corps doit être droit, non groupé, et rigide, afin d'augmenter la pénétration dans l'eau, et donc la durée de la décélération.

     Le plus courant dans nos encadrements professionnels est de voir un client arriver dans l'eau assis, comme sur une chaise invisible. La peur du saut engendre le réflexe de relever les jambes, et l'entrée dans l'eau se fait sur les fesses. Ceux qui se blessent suite à cette entrée dans l'eau ont quasiment tous une blessure cervicale: En effet, la force imprimée sur le bas du corps se propage le long de la colonne vertébrale, pour se terminer en haut, sur les cervicales.

A RETENIR :

  • Plus la rentrée dans l'eau est réalisée avec un corps vertical, moins la force sur le corps est importante: Il faut pénétrer dans l'eau en faisant la bouteille, jambes serrées et bras rentrés.
  • Les plats (dos et ventre) créent un arrêt trop brutal du corps dans l'eau, et créent une force extrêmement importante sur les articulations, organes, squelette.

 

Sauter en canyoning en minimisant les risques: Comment faire?

     J'ai en premier lieu besoin de repères sur moi : Je dois connaître ma capacité physique et mon mental du jour. Deuxièmement, j'ai besoin de repères plus prosaïques : Je dois absolument savoir quelle est la hauteur maximale que je sais gérer. Nous avons tous une hauteur limite au delà de laquelle la peur nous fait commettre des erreurs.

     Si lors du saut je me sent fatigué, nerveux, préoccupé … bref pas en bonne forme … surtout ne pas sauter à cette hauteur!

 

1 . Connaître la profondeur à la réception.

  • Si l'eau est trouble: Il faut prendre un masque, nager jusqu'à l'endroit de la réception du saut, prendre une bonne inspiration, et descendre voir la profondeur et les obstacles immergés.
  • Pour avoir un ordre de grandeur, il faut considérer qu'un saut en dessous de 3m peut avoir une profondeur de réception minimale de 3m. De 4m à 10m nous aurons besoin d'une profondeur minimale de réception de 4m.

 

2 . Repérer une zone d'impulsion la plus plate et propre.

  • Tant qu'à faire, autant avoir une zone d'impulsion où plate (pour ne pas glisser), large (pour poser ses deux pieds à son envie), et propre (type roche pour ne pas glisser).

 

3 . Prendre son temps avant de sauter.

  • Positionner ses pieds pour l'impulsion.
  • Visualiser le saut et ses étapes.
  • Avoir une respiration calme, détendre son mental.

 

4 . Avoir une impulsion nette et franche

  • Le pire ennemi, c'est l'hésitation. Soit on se sent en confiance et on y va franco, soit on ne saute pas. Hésiter, c'est prendre le risque de ne pas donner une impulsion assez forte pour s'éloigner de la falaise. Hésiter, c'est aussi refuser le saut juste après avoir commencé à donner l'impulsion, ce qui est dramatique.

Nous avons vus en tant que moniteurs de nombreux clients hésiter de longues minutes en haut d'un saut, le corps et le mental refusant catégoriquement de sauter. Puis sous le coup de pression des amis, ou sur un coup de folie passager, la personne s'élance, mais refuse aussitôt de sauter en se rendant compte de ce qu'elle est entrain de faire … trop tard: Le corps est déjà en déséquilibre, il n'y a plus d'option possible, il faut continuer l'action de sauter. La plupart du temps ils arrivent à se rééquilibrer en l'air, mais des fois non, ce qui finit sur le dos, en plat, de côté. Généralement ces personnes ne sautent plus à cette hauteur après, même si elles ne se sont pas fait mal.

 

5 . S'équilibrer en l'air pour conserver la rectitude du corps.

  • Ça c'est la technique mystère, et chacun a sa petite méthode. Il y a par contre un impondérable pour que le corps soit en capacité de s'équilibrer naturellement: Il faut être détendu, et avoir les bras mobiles.
  • Tous ceux qui s'élancent avec la peur au ventre, ont le corps rigide en l'air. Si l'impulsion les a fait basculer vers l'avant, l'arrière ou le côté, la rigidité de leur corps les empêchera de se rééquilibrer, et ils continueront à basculer durant la chute.
  • Généralement, on conseille de sauter les bras un peu écartés (comme un équilibriste sur son fil, ou en slack-line), voire les jambes un peu écartées. Le corps doit être mobile, le mental concentré sur le fait de conserver sa rectitude.

 

6 . Avant le contact avec l'eau, redresser son corps en «bouteille», et se préparer au choc.

  • Durant la chute on s'équilibre, et avant la rentrée dans l'eau, il faut adopter une position différente: La bouteille. Il faut donc être actif en l'air, car on doit alors passer d'une position à une autre.
  • Positionner son corps en bouteille, c'est: Jambes serrées, bras croisés ou le long du corps, pieds à plat.
  • Se préparer au choc: Contracter tous les muscles de son corps, pour se rigidifier.

 

7 . En pénétrant dans l'eau, conserver la rectitude, contracter ses muscles, et souffler par le nez. fortement.

  • Durant la phase aquatique de décélération, il faut conserver la même position verticale, et resté contracté, jusqu'à ce que la vitesse soit nulle. A ce moment là on peut nager pour remonter vers la surface.
  • Au moment de pénétrer dans l'eau, il suffit de fermer la bouche, et souffler fortement et brièvement par le nez pour que l'eau ne rentre pas dans les narines. Il y a aussi d'autres méthodes, comme se boucher le nez. Vous trouverez des explications plus fines dans notre FAQ sur les sauts en canyon.

 

1 – Fatal injuries resulting from extrem water impact. Aerospace medecine. Snyder R.G. Et Snow C.C. (1967)

2 – Cliff diving: Water impact and video analysis. Journal of physical Education and sport. Napolitano S. (2014).

3 – Spinal injury considerations in the competitive diver: A case report and review of literature. Spine Journal =. Badman B.L. Et Rechtine G.R. (2004)

4 – Forces on the body during elitecomptetitive platform diving. Ninth international Conference on CFD in the mineral and process industries. CSIRO, Melbourne, Australie. Harisson S.M., Cohen R.C.Z., Cleary P.W., Barris S., Rose G. (2012)

5 -  Bilan accidentologie SNAPEC. (2020)

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